Chapitre 38 : Quartier chic
Un quartier chic et cher.
Un bel immeuble, une entrée cossue.
Une autre chirurgienne. Dénigrée par celle de l’hôpital. Recommandée par un ami.
Tout en délicatesse et en douceur, elle regarde le travail accompli pendant la première opération, et l’approuve. Elle félicite sa confrère, mais elle comprend ma déception.
Je me remets entre les mains de cette femme charmante et compétente.
Je vais prendre mes habitudes dans son quartier chic,
Repérer les cafés confortables,
L’église au magnifique chemin de croix.
Derrière le luxe du cabinet,
le côté un peu ostentatoire et surfait de la chirurgie esthétique,
J’aperçois la profonde humanité de cette femme.
Je la retrouve masquée, une charlotte sur la tête, les sabots aux pieds,
Dans les blocs opératoires, dans leurs antichambres.
La voilà à l’œuvre, à la fine couture ou broderie,
Les corps sont endormis, allongés,
Aussitôt redressés sur des chaises,
La tête soutenue pour éviter qu’elle ne s’affaisse.
Je commence à m’accoutumer aux drains,
Aux petites bouteilles de sang accrochées à mes côtés,
Aux situations inattendues aussi :
Une grève des infirmières qui décale toutes les interventions.
Les patients attendent dans les courants d’air glacés du hall
Tandis que les infirmières scandent au-dehors leur exaspération.
Ma voisine de chambre qui remonte sans avoir été opérée car la machine était en panne,
Moi-même qu’il faut re-charcutouiller car j’ai un hématome.
Je m’accoutume aux tenues extravagantes :
Pantys ouverts sur les fesses,
Recouvrant les cuisses noires de lipo-filling,
Soutien-gorges spéciaux auxquels ma peau devient allergique,
Ecorchée vive.
Je découvre combien la radiothérapie a modifié mes tissus.
Mon aisselle est une chaussette rétrécie,
Que je m’efforce de détendre à grands coups de crawl.
Grâce à une amie, je rencontre enfin deux autres femmes aux doigts de fée :
Deux kinésithérapeutes d’exception
Qui accompagnent mes reconstructions.
La première séance me surprend.
Tutoiement.
Elle me dit qu’elle et son acolyte
N’hésitent pas à faire tomber les masques
A faire pleurer leurs patientes :
Car où peut-on pleurer sinon chez elles ?
Au fil des semaines, je passe des mains de l’une à l’autre,
La blonde aux cils démesurés,
Dont les paupières papillonnent au-dessus de mon visage,
Et dont les doigts agiles pincent et taquinent ma cicatrice ;
La brune au doux sourire,
Dont j’écoute les conseils,
le bon sens, et les péripéties.
Les remous de la vie ne leur ôtent rien de leur générosité, de leur joie, de leur peps !
Je déteste perdre mon temps, alors caler ces rendez-vous de kiné dans mon programme hebdomadaire, c’était initialement vraiment la plaie.
Parler pour ne rien dire ? Échanger des banalités ?
Ça commençait mal.
Rapidement, j’ai pris goût à ces petites séances de papote.
La brune et la blonde me font rire,
M’instruisent,
Me touchent, le cœur autant que les seins.
J’admire ces filles brillantes, qui mènent bien leur barque,
Tout en se mettant au service des souffrants.
Séances de kiné d’un nouveau genre
Où s’allient le travail des doigts
Et les bienfaits de l’amitié.
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