Chapitre 2 : Tout commence toujours par un écran

 Chapitre 2 : Tout commence toujours par un écran


Tout commence toujours par un écran. 

 

Un écran de télévision, dans les années 80 / TF1 ou Antenne 2 : 

Je regardais une émission, probablement après le journal de 20h, qui traitait du cancer du sein. Ce type de programme qui mêle reportages et débats, entretien, tables rondes.

Dans le documentaire, une femme assez enrobée d'environ cinquante ans, racontait comment elle avait vécu dans le déni, refusant de voir se former une masse dans son sein. Par la suite, elle avait subi une mastectomie. 

Je me souviens que j'étais très jeune, écoutant tout cela, et que je m'étais demandé ce que pensait son mari de sa transformation physique. Elle répondit à la question, en disant (et je l'entends encore citer ces mots) : « Quand je me retrouve avec mon mari (je ne compris pas le sens exact de cette expression) c'est terrible, terrible ». Sans mesurer pleinement ce que cela signifiait, je sentais bien qu'une blessure psychologique, et non seulement physique, bouleversait la vie de cette femme.

Je ne me souviens plus de la suite de l'émission, qui devait certainement évoquer le nombre croissant de cancers du sein dans la population féminine.

Cette émission me préoccupa beaucoup, m'ayant ouvert les yeux sur le terrifiant malheur qui pouvait atteindre les femmes. Je m'ouvris de mon inquiétude à ma mère, qui, pour me rassurer, me dit que ces cancers survenaient dans certaines familles. Je lui demandai alors si nous appartenions à l’une d’elles, et elle me répondit que non.

 

Un écran de télévision dans les années 90 / M6 : 

Un peu plus tard, à l'époque où mes parents nous laissaient parfois seules, époque bénie où nous pouvions prendre, dans ces cas-là, nos repas tranquilles devant la télé, repas immanquablement constitués par un bolino au hachis parmentier, délicieuse mixture dont les petites boulettes de viande déshydratée ressemblaient à de la nourriture pour chien, et souvent suivi par un ou deux esquimaux miko à la vanille, couverts d'un succulent chocolat noir aux éclats de noisettes (malheureusement détrônés depuis dans les commerces par d'indigestes et énormes eskimos), bref, un vrai festin de malbouffe, j'eus, à deux reprises, l'occasion de voir un film sur M6 que je n'oublierai pas. 

J'ai oublié la plupart des intrigues et des personnages des romans et des films que j'ai lus et vus, mais les navets de ce type, je ne les oublie pas.

 

Le film commençait par la lecture d'une lettre : un homme était assis sur le banc de son jardin et lisait silencieusement une lettre d'adieux écrite par sa femme ; le spectateur en prenait connaissance grâce à une voix-off, et en concluait que l'épouse était morte, jusqu'à ce que celle-ci surgisse derrière le banc et demande à son mari ce qu'il lisait. 

Il répond alors tendrement que c'était la lettre qu'elle lui avait écrite à l'époque où elle avait un cancer du sein, ou quelque chose d'approchant. Ouf ! Nous voilà rassurés, elle en a réchappé. Mais hélas, un peu plus tard dans le film, elle apprend qu'elle a une rechute. Elle se rend à l'université où travaille son époux et l'attend dans un couloir. Il sort de son amphithéâtre sans l’apercevoir, cerné par des étudiantes dont quelques-unes cherchent à le séduire, puis, lorsqu'il est enfin seul et se lave les mains dans les toilettes, sa femme se manifeste à lui, et le taquine un peu sur ses admiratrices. Il faut dire qu'il est un peu le type même du vieux beau, cheveux gris, à petites lunettes rondes et moustache. Il lui demande ce qui lui vaut sa visite, et elle lance alors d’un air quasi-martial :

« Que ceux qui n'ont pas de cancer avancent de deux pas » ! Elle reste immobile sur le seuil, et ajoute d'une voix bouleversée : « Viens me chercher » !

 

Par la suite, on la voit dans un drugstore avec une amie dévorer une énorme « crème-glacée » comme on dit toujours dans les traductions des films américains, où l'on ne fait jamais l'effort de rendre parfaitement l'expression française qui serait plutôt, ici, « glace ». Une cliente les interrompt pour demander niaisement : « Mais comment faites-vous pour manger des crèmes glacées tout en gardant la ligne ? », et note héroïne réplique, toute contente de sa réponse : « Le cancer ! Ça fait fondre toutes les calories ! ».

 

Je me souviens, bien sûr, de la scène où elle perd ses cheveux sous l’effet de la chimiothérapie, dramatisée au possible. De celle où, très affaiblie, elle est couchée sur le côté, sur son lit. Son mari arrive, s’installe derrière elle : leurs mains enlacées reposent sur l'épaule de la femme. Elle regrette alors : « Si seulement nous pouvions faire l'amour ! » à quoi il répond : « Nous le faisons ».

 

 

Mais le passage qui m’avait le plus frappée était celui où l'on voyait cette femme avec son époux et ses deux enfants dans un parc de loisirs. Ils posent en photo derrière ces panneaux de bois qui figurent des personnages (en l'occurrence, probablement des cow-boys) dont la tête est évidée pour que le touriste puisse y mettre la sienne à la place. Ainsi, toute la famille est photographiée en posture de cow-boys, mais soudainement, voilà que l'héroïne ne voit plus son visage : il y a bien son mari, son fils, sa fille, mais à sa place à elle, il y a un grand trou noir. Brusquement elle se redresse ! Ouf, c'était un cauchemar !

Pour ma part, je ne vais jamais poser sur ce genre de dispositif sans avoir une pensée pour ce téléfilm.

 

A la fin, bien sûr, elle meurt, et l’épilogue du film rejoint son prologue, par l'intermédiaire de la lettre lue sur le banc du jardin. Du moins dans mon souvenir.

 

Bref, très réjouissant comme film !  Assez bien mémorisé, vous en conviendrez.

 

En le résumant aujourd’hui, je mesure combien le réalisateur a mis la dose sur le pathétique. Aujourd’hui, on trouve sur internet des stories de femmes qui se rasent la boule en famille et en rigolant, juste avant leur première chimio. Autres temps, autres mœurs. 

 

 

Pour relever un tout petit peu le niveau, je citerai un film de Maurice Pialat intitulé La Gueule ouverte, que je ne raconterai pas mais que je recommande. Pas forcément super joyeux non plus. 


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