Chapitre 27 : L’hôpital
Chapitre 27 : L’hôpital
On y arrive par le train.
Dans le train, je suis la seule
J’aurais envie d’écrire « en perruque »
Je suis la seule à ne pas porter mes cheveux ;
A la tête de zombie
Dans cette petite gare, se croisent
Des gens normaux,
Des zombis,
Des malades incognito,
Comme cette jeune femme
Qui était assise à côté de moi tout à l’heure
Dans le couloir de la radiothérapie :
Belle, jeune, brune, moderne.
Je la retrouve au guichet de la gare
Voulant modifier son pass navigo :
Elle change ses habitudes de transport, explique-t-elle à l’employé.
Qui peut savoir que cette femme au guichet
Devant lequel se croise tant de monde
le matin, à midi, et le soir,
zyeutant furtivement les gros titres en contre-bas,
Qui peut savoir que cette belle, brune, moderne femme
Aux cheveux bouclant sur le dos de sa veste en cuir
Soigne un cancer
Dans cet immense four qu’est l’hôpital,
Dans ce lieu glacé qu’est l’hôpital,
Dans cet antre.
On y arrive souvent par le train,
On en repart par le même moyen,
Sauf si le train ne marche pas, bien sûr...
Alors là... débrouille-toi !
Un cerbère à l’entrée
Réclame the sanitary pass
En traitement, pas le choix,
Ne pas jouer à l’anti-vax.
A la queue leu-leu, chacune, avec son ticket,
Est appelé par un ding-dong
Qui tape sur le système.
C’est ton tour :
« Vous avez vos étiquettes ? »
-Mais oui bien sûr,
Je connais mon identifiant /
Mon matricule /
J’ai la carte du magasin !
Sinon, on me les ré-imprime toutes,
Or je suis écolo.
Ok, bravo,
Voilà ta « fiche de circulation »
Circulons donc dans ces lieux circulaires,
Et ne t’arrête pas à regarder celles qui ont mauvaise mine.
-Oh purée, je vais ressembler à ça, moi ?
Braque ton regard sur les belles femmes
Qui restent bariolées,
Élégantes, classes,
Aux foulards bigarrés
Artistement noués.
Normalement, on commence plutôt par-là,
A « l’imagerie ».
On y attend dans de profonds canapés,
Le ventre plus ou moins serré,
Des éclats de rire, à l’accueil, retentissent.
Sympa quand même.
Chacune est dans sa solitude.
Passage par le bureau des rendez-vous
Glisse ton vade-mecum
Et tes étiquettes
Dans les bannettes.
Ascenseur bleu, ascenseur rouge ?
Lequel te mènera dans les entrailles ?
Arrivée dans les profondeurs,
Les zones froides de la scintigraphie,
Qui n’a rien à voir avec le sein.
Une mamie à côté de moi ne comprend rien.
Elle a l’âge qu’aurait ma mère.
Le frileux Pet-Scan,
Voit défiler les puppets : jolie poupée ou vieille mamie.
Ses portes blindées sont lourdes :
J’y ai laissé un ongle.
J’y ai bu un thé,
J’y ai tremblé.
Remonte voir l’oncologue.
On-co-logue,
Bleu, blanc, blême.
J’ai attendu si longtemps, des heures durant,
Devant le bureau de mon on-co-logue.
J’ai discuté un peu avec les autres.
Gratias oncologo,
Spécialiste de l’onkos *
(La masse)
A la profession si ingrate.
Par ici, c’est la chimiothérapie.
On entre dans le vif du sujet.
Un long couloir. Des cellules.
On y « patiente », avant, et pendant.
Porte un casque froid
Si lourd sur les cervicales,
Des moufles froides
Qui t’empêchent de lire.
Regarde s’écouler, goutte à goutte,
Le produit. Compte-les.
Impatiente de sortir.
Par-là, c’est le couloir de la génétique
Des docteurs qui y manquent un peu d’humour
T’aident à y voir clair dans ton arbre généalogique.
Si tu veux y grimper,
Psycho modo,
Monte un étage,
Juste après le labo, ses crachoirs et ses pipettes.
C’est un peu le lieu du loisir, de la respiration.
Mais que c’est calme et gris...
Je n’ai pas le sens de l’orientation, je me demande si par là-haut, je ne rejoins pas les couloirs de la chirurgie. Salle de réveil.
Opération, pose de chambre, dépose.
On te charcute, tu sens le sang,
On te glisse, on te pousse
Dans l’épaule,
On te remonte jusqu’à la gorge.
Là-bas, en bas,
C’est la radiothérapie. J’aime beaucoup.
La couleur des murs est plus jolie.
On attend dans un beau salon, plus lumineux,
On attend Truebeam. Qu’il soit à l’heure ! Qu’il fonctionne...
J’ai renoncé à apprendre le russe dans mon assimil
Mon cerveau n’arrive plus à retenir ces sons difficiles,
Je confonds les lettres et les mots.
Je préfère me livrer à un peu de socio :
Je regarde les jeux télévisés, je découvre
Les nouveaux animateurs, les nouvelles formules.
Je guette impatiemment
Les Feux de l’amour,
Je savoure les mimiques des acteurs,
Et leur jeu inspiré.
Ici, les patients se parlent plus et mieux qu’ailleurs, qu’aux autres étages.
On échange des astuces pour éviter les frais de dépassement à l’horodateur.
On t’appelle,
Va dans ta cabine
Comme à la piscine,
Te dénuder.
On t’installe.
En quelques minutes, c’est terminé.
Allongée sur le grand lit, les bras levés,
J’écoute la musique de la radio diffusée
Tandis que je suis irradiée.
Parfois il fait très froid.
Les mains glacées des manipulateurs, ou manipulatrices
Très gentils. Je m’attache à eux, jour après jour,
J’apprécie aussi ceux de l’accueil.
Une seule fois, je ne sais plus pourquoi,
Mes larmes ont coulé, pendant l’irradiation,
Qui ne m’a jamais fait mal.
Souvent je voyais ma photo sur un écran. Hilare. Une tête de vieille mamie, toute ronde.
Dans ce lieu, à part, au cœur de la ville,
Dans ce monde, cet univers, ce cosmos,
Il y a d’autres recoins.
Celui, là-bas où j’ai pleuré,
Quand j’ai su qu’une amie me laissait tomber pour un rendez-vous fixé,
Qui me promettait tant de répit dans mon parcours.
Ne nous supprimez pas nos bouées !
Les petits réconforts : avant, après, dehors.
Nos amis, nos thés, nos cafés...
Tout ce qui touche à la beauté.
Sors, descends, et arrive
A la pharmacie.
Par là c’est l’église. Elle est
colorée
calme
Et Marie t’attend là-bas au fond, à gauche.
Elle te prendra, minuscule,
Entre ses mains. Dans sa mandorle
Bien au chaud, tu pourras tout confier,
Tout pleurer.
And... last but not least...
Le café ! La place du café.
Plaisir coupable,
Un café noisette.
Je sors mon petit calepin,
J’y écris des tas de petits trucs,
Mes petites pensées, de petits mots.
Je reprends le train. Sur le quai
Je pleure, je pleure sur ce rendez-vous de génétique
Qui ne dit rien, qui dit quoi ?
Et je ressasse encore
Le cancer
De ma mère
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