Chapitre 23 : allaitement

Chapitre 23 : allaitement



A la maternité.

Couchée sur le flanc. Mes seins sont énormes, tendus et gonflés. 

Des obus.

Ils sont si volumineux que je ne peux pas croiser les bras.

Me mouvoir est devenu difficile.

Les infirmières constatent : « C’est une grosse montée de lait ! » 

Elles apportent de la glace. 


Quand le bébé se branche sur le sein, c’est une décharge électrique. Gnap ! 


Dans mon appartement, je l’installe à quatre pattes, telle la louve. 

Le bébé dégorge les seins, vide les canaux obstrués. 


Le bébé tète. Sa main délicate caresse mon flanc, 

Passe dans mon dos ; une autre main agile s’agrippe à mon corsage, en tâte l’étoffe, explore le monde. Une toute petite main, miniature, aux ongles transparents. 

Une tête de nouveau-né. Toute ronde, lourde, d’un poids immense_ qui repose dans mon coude, ou dans mes paumes. 


Du haut de ma lèvre, de cette partie creuse dont j’ignore le nom, entre le nez et la bouche, 

Je caresse et hume longuement le crâne duveteux, le front si suave. 


Les yeux fermés, l’enfant repu m’offre ses mimiques. Il hausse le sourcil et hoche la tête à plusieurs reprises, il dodeline d’un air dubitatif, son visage tressaille, il pousse un soupir. Enveloppé de rêves doux et chauds. 


Comme sur des tableaux auxquels on ne prête pas foi,

-Une Madone,

-Héra : la voie lactée s’échappant de la bouche du petit Héraclès : 

« C’est impossible ! Un jet pareil ! »- 

Le lait jaillit. 


Le lait, propulsé, 

S’élance et retombe 

En fontaines de lait. 


Éclats de rire sous le drap.
Voici que le sein-volcan éructe et arrose tout azimut la contrée environnante. 


Non, mais qu’entends-je ?

L’enfant ne suce pas ! Il tète. Il aspire, il extrait, se nourrit. 

Il pompe.

Ou parfois... il attend paresseusement. 


Autant d’enfants, autant d’odeurs, autant de finesses de peau, autant de manières diverses de téter. 

Tout le corps maternel se met en branle pour fournir 

Pour lui servir

Ce lait délicieux.

Même deux seins minuscules, 

Petits globes,

Peuvent donner et offrent du lait en abondance. 


Couchée sur le flanc, 

Face à face avec l’enfant, 

-Au sein-

Que je retiens de basculer, 

Ma main posée sur ses fesses. 

Tout petit devant moi.

Tous les deux assoupis. 


Au volant de ma voiture

Sur un pont

Je sens qu’il est grand temps que j’arrive

Que l’enfant a faim, loin, là-bas.

Mon corps m’en envoie le signal. 


Le sein se manifeste parfois haut et fort,

Le corps prend sa revanche sur l’esprit : 

Face au jury d’un oral

Le lait se met à calligraphier 

Sur l’étoffe de mon chemisier. 


Comme je suis attendrie, maintenant, 

Quand je vois une mère qui dissimule 

Sous un petit voile, sous un petit vêtement, 

Son bébé qui tète 

Discrètement, comme si rien n’avait lieu.

-Dans la rue, l’une d’elle cherche un renfoncement

Pour échapper aux regards.

Une fenêtre s’ouvre en haut d’un immeuble :

Une femme interpelle la passante, lui propose de monter

S’asseoir au calme, pour nourrir son bébé. 


J’imagine le petit visage de l’enfant, 

Sa menotte,

Il se sent bien.

Comme c’est naturel !

Et apaisant aussi pour la mère : 

L’intimité vécue

Au milieu du brouhaha. 


A l’église, je vis près de moi une femme s’apprêtant à nourrir son petit.

Elle souleva son châle, prépara son giron

Pendant que le père portait l’enfant

Qui attendait. 

J’étais émue devant ce qui se vivait là, 

En secret, pendant la messe.

Je reconstituais les sensations,

Le sein qui se gonfle, 

Le lait qui attend pour jaillir,

Coule peut-être déjà un peu.

Peut-être même mes propres seins auraient-ils tressailli 

Si j’en avais encore eu des vrais. 

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