Chapitre 21 : prendre la tangente

 Chapitre 21 : prendre la tangente


Prendre la tangente devint mon programme.
Je tâchai de me retracer le parcours maternel pour m’en écarter et prendre le large. 

En m’endormant, tel le petit Marcel fasciné par les ombres de Golo et Geneviève de Brabant, je faisais tourner autour de ma chambre les événements et les dates : un voyage en famille durant lequel elle était épuisée et ne supportait plus aucun plat épicé ; un jour de Noël, squelettique, le bras gonflé de lymphe ; son visage émacié souriant à une amie, dans une chambre d’hôpital ; je tâchais d’en rétablir la chronologie grâce à tel diplôme que j’avais obtenu ou raté, telle étape heureuse ou malheureuse de ma vie sentimentale, la naissance d’un neveu. Je reconstituais péniblement les rémissions et les rechutes, et la propagation fatale des métastases aux autres organes. 

En revanche, je refusais absolument de consulter son dossier. Je le laissai dans une enveloppe en kraft, toujours posée sur mon étagère, que je donnai à lire à ma chirurgienne. « Cela n’a rien à voir » me dit-elle pour mon plus grand plaisir. Depuis, je l’ai parcouru de travers et je me demande si mon cas n’était finalement pas plus grave... 

Jouons à nous faire peur.
Alors, aux grands maux, les grands remèdes, prenons la tangente : tranchons dans le vif. 

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